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Yallah Bye par Kyungeun Park

Interview de Kyungeun Park, ancien Jeune Talent, pour son 3ème album BD sur un scénario de J. Safieddine, l'histoire de la guerre de 2006 au Liban vécue par une famille libano-française.

En 2006, juste après la Coupe du Monde, la guerre a éclaté au Liban ; à travers l’album Yallah Bye les auteurs représentent le conflit qui a secoué le Moyen-Orient il y a 9 ans. Kyungeun Park, dessinateur d'origine coréenne,  nous raconte comment a évolué ce projet intense, de son origine à son séjour au Liban avec Joseph Safieddine pour recueillir les témoignages des gens sur place, jusqu'aux réflexions sur la guerre après coup.

 

Après deux albums, vous travaillez avec le scénariste Joseph Safieddine sur la bande dessinée Yallah Bye, qui raconte l'histoire d'une famille libano-française pendant la guerre de 2006 au Liban. Comment avez-vous rencontré Joseph, qui a vécu et écrit cette histoire ? Pourquoi avez-vous accepté de la dessiner ?

Kyungeun Park : Justement, notre rencontre s’est faite grâce au Concours Jeunes Talents d’Angoulême. Joseph a vu mes planches sélectionnées sur le site du FIBD et m’a contacté. Au départ, il m’a proposé une autre histoire. Nous avons fait des travaux préparatoires mais je me suis rendu compte que ce projet ne me correspondait pas beaucoup. Pourtant comme nous habitons tous les deux en région parisienne, nous nous sommes vus plusieurs fois et nous avons pas mal discuté ensemble. Comme le père de Joseph est libanais et que je suis Coréen, notre sujet de conversation s'est naturellement dirigé vers nos origines. Joseph s’est beaucoup attaché à la culture libanaise et y retourne fréquemment. C’est ainsi qu’il m’a parlé d’un projet de BD fortement inspiré par son expérience et celle de sa famille pendant la guerre de 2006 au Liban. Cette année, juste après la Coupe du Monde, la guerre a éclaté au Liban. La famille de Joseph, partie y passer les vacances, est restée bloquée au sud de Pays. Joseph, resté à Paris, s’inquiétait du sort de sa famille et pouvait très difficilement les joindre par téléphone. Son histoire m'a rappelé ma propre expérience quand, en 2010, la Corée du Nord a envoyé une quarantaine d'obus sur une île frontalière Sud Coréenne. Heureusement pour la Corée l’affaire s'est vite réglée et ça n’a pas dégénéré. Pourtant grâce à cette expérience j’ai pu comprendre le sentiment de savoir sa famille en danger quand on est loin et impuissant.
Et puis, comme le personnage principal, Mustapha, je suis un étranger qui s’est installé en France, et je suis père. Tout cela me permet de bien comprendre le message et de m’identifier facilement aux personnages. En faisant des recherches supplémentaires, je me suis rendu compte qu’il y a pas mal de similitudes dans l’histoire contemporaine de la Corée et celle du Liban : l'occupation du pays par des grandes puissances sous forme du protectorat, la colonisation, la guerre civile, les grandes puissances qui tirent profit de l’instabilité de ces deux pays, etc. De mon point de vue coréen, il est intéressant de constater que malgré la distance géographique et la différence culturelle, ce genre de schéma peut s’établir. Si on élargit un peu le regard, c’est souvent le même sort pour tous ces pays petits parfois un peu faibles. Même si on parle ici d’un conflit dans une région de la planète, l'histoire est universelle. Toutes ces raisons m'ont poussé à travailler sur cet album.

 

Comment s'est passée la période de recherche et repères avant l'élaboration de l'album ?

Kyungeun Park : Le Liban était un pays totalement méconnu pour moi. Donc malgré beaucoup de photos données par Joseph et celles que j’ai ramassées sur l’internet, c'était compliqué de me faire une image précise de ce pays. Les photos sont souvent prises sous un certain angle et il me fallait imaginer entièrement le paysage en dehors de ces cadres. Les immeubles sont partiellement cachés par les arbres ou par d'autres éléments. Les détails dans l’ombre ne sont pas reconnaissables etc.

L’été 2012, Joseph et moi nous sommes allés au Liban, pendant 8 jours à Tyr (la ville dans laquelle l’histoire se déroule). J’y ai pris énormément de photos et réalisé pas mal de croquis en retraçant l’itinéraire des personnages de BD. Ce séjour m’a beaucoup aidé à comprendre la ville en trois dimensions, saisir l’atmosphère et la lumière. À mon retour, je me suis senti plus à l’aise pour attaquer la réalisation des planches. Nous avons rencontré la famille de Joseph et les habitants sur place pour écouter leurs témoignages. Grâce à cela, nous avions des informations plus justes, détaillées et vivantes. Joseph a fait 3 ou 4 grandes modifications suite à ce voyage.

 

Quels sentiments avez-vous éprouvés d'après cette histoire ? Dessiner une histoire si intense vous a permis d'exorciser le thème difficile de la guerre ?

Kyungeun Park : Je suis déjà très content d’avoir fini cet album assez volumineux. Exorciser le thème de la guerre ? Je ne sais pas. Ça me laisse un gout un peu amer de réaliser que pendant qu’on passe des moments paisibles ou euphoriques (comme la Coupe du Monde), il y a des conflits et les gens qui souffrent quelque part sur la planète. Je trouve dommage que la Corée n'échappe pas non plus à la règle. Je me souviens que pendant la Coupe du Monde 2002, il y a eu une petite bataille navale entre des navires de deux Corée. Six marins sud-coréens y trouvèrent la mort. (Côté Nord, le nombre de victimes reste inconnu.)

Mais je reste malgré tout assez optimiste. Il faut garder cela en mémoire et faire un effort pour ne pas répéter les mêmes erreurs. La plupart d’entre nous n’ont pas le pouvoir de résoudre ces conflits très vite mais je veux croire qu'il y aura une prise de conscience. Pour nous les Coréens par exemple, ce serait de voter pour le parti qui tente de calmer la tension avec notre voisin du Nord.

 

Vous étiez lauréat du Concours Jeunes Talents en 2006. Qu'est-ce que vous a apporté cette qualification ? Quels conseils donnez-vous aux jeunes auteurs qui veulent se lancer dans le métier de dessinateur ?

Kyungeun Park : Le Concours Jeunes Talents m’a beaucoup aidé à commencer ma carrière de dessinateur de BD. Déjà, l’éditeur qui faisait partie du jury m’a repéré et publié mon 1er album (Le Roi Banal). Mes rencontres avec les scénaristes se sont faites aussi grâce au site internet de Jeunes Talents. J’aimerais dire aux jeunes dessinateurs que le métier de dessinateur de BD n’est vraiment pas facile. Il faut donc de la persévérance et une bonne dose d’optimisme.

 

Quels sont vos projets futurs ?

Kyungeun Park : Je suis en train de réaliser un album avec le même scénariste (Joseph Safieddine)  chez le même éditeur (Le Lombard). L'histoire se concentre sur le parcours d'un jeune quarantenaire, qui vit dans la famille française de sa femme, un peu comme un coucou. Ces petits oiseaux qui vont dans le nid des autres et qui prennent toute la place. Au fil de l'histoire, ce personnage sera amené à retourner dans son pays d'origine, et le lecteur comprendra pourquoi, pour survivre, il a  développé cette stratégie, cette "névrose coucou" qui ira parfois beaucoup trop loin.

Je prépare aussi l’adaptation d'une biographie d’un sud-coréen qui a dû demander l’asile en France. Sa vie reflète bien l’histoire contemporaine de la Corée. Sa vision, et la manière dont il compare la société française et celle coréenne me paraissent intéressantes. Mais je n'en suis qu'au début !

Vous pouvez faire un tour sur le site de l’éditeur pour en savoir plus.