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Jean-Benoît Meybeck signe C.R.A.

« À quoi bon inventer des fictions, alors que le réel est si fort, si intéressant ? » Interview de l'auteur à l’occasion de la sortie de l'album C.R.A. (Éd. Des ronds dans l'O) qui met en scène des témoignages de sans-papiers dans la France d'aujourd'hui.

Ancien Jeune Talent, Jean-Benoît Meybeck se lance dans l'univers de la Bande Dessinée du réel avec une première œuvre qui est un fragment de réalité : le quotidien des migrants et des associations qui luttent pour ouvrir les Centres de Rétention Administrative (C.R.A.). Comment faire connaître aux citoyens européens ces histoires incroyables ? Voici la réponse, à travers l’interview de l’auteur de ce livre.

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Il y a 2 ans, en 2012, vous avez été sélectionné au Concours Jeunes Talents. Que vous a apporté ce défi ? Que conseilleriez-vous aux jeunes qui veulent se lancer ?

Jean-Benoît Meybeck : Ça a été un grand plaisir de participer à ce concours, et surtout d'y être sélectionné. Être exposé dans le pavillon et figurer au catalogue m'avait beaucoup touché, bien sûr. Ce que cela m'a apporté, je dirais en premier lieu un formidable encouragement à continuer ! À cette période de ma vie, j'étais jeune au niveau du talent, mais pour le reste ça commençait déjà à mûrir, et je me rendais compte que je n'avais pas réalisé mon rêve d'enfant, c'est-à-dire faire de la bande dessinée. J'étais graphiste depuis plusieurs années, avec toujours l'idée de faire "plus tard" de la bande dessinée, mais ça commençait à devenir urgent. J'ai donc ouvert un blog BD, en 2010, sur lequel j'ai posté mes anciennes créations et commencé de nouvelles séries.

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En 2011 j'ai décidé de passer à "la vitesse supérieure" en participant au concours "Jeunes talents" (c'était ma première participation à celui-ci, mais j'avais déjà participé aux concours BD scolaires, plus jeune). Être sélectionné à ce concours m'a vraiment "boosté", je ne sais pas si j'aurais eu la ténacité suffisante pour continuer sans cela. Ça voulait dire que ce que je faisais était valable, pouvait plaire, même dans un cadre très sélectif comme ce concours.

Après cela, j'ai commencé à proposer des projets à des éditeurs, en mettant sur mes CV un gros badge "jeunes talents" que j'avais scanné, et que j'ai gardé longtemps accroché à ma lampe de bureau. J'avais même commencé à réaliser un projet de bande dessinée sur cette expériencemais, même si certains éditeurs se sont montrés encourageants, ils ne l'ont pas pris : le sujet était peut-être un peu sensible pour eux, je ne sais pas.

Il est sûr que le label "Jeune talent du festival d'Angoulême" incite les éditeurs à y regarder à deux fois avant de classer les projets qu'on leur envoie. Toutefois, si le projet ne plaît pas à l'éditeur, il ne le prendra pas, ce qui est bien normal. 

Quels conseils donner aux participants au concours ? C'est difficile, car il y a énormément de variété dans ce qui est sélectionné. Je pense qu'il faut sortir des sentiers battus. Essayer d'être surprenant au niveau de la narration, de la façon de raconter, plus qu'au niveau d'une histoire ou d'un dessin. Mais attention, les planches doivent pouvoir être exposées et imprimées dans un catalogue. L'année dernière par exemple, j'avais créé des planches à base de bandes (de strips) tressées, en référence au concept de tressage que développe Thierry Groensteen dans son livre Système de la bande dessinée.

L'année où j'ai été sélectionné, j'avais présenté une BD sous forme d'un jeu de Scrabble. Il était question de Scrabble dans l'histoire, et ça m'a apparu amusant et frappant de lier le fond et la forme. C'est sans doute une piste intéressante à suivre.

J'en profite pour dire qu'à cette époque, je passais un master en bande dessinée à l'université de Poitiers, en VAE. Sans aller jusqu'à cette extrémité, il peut être bon de s'intéresser à l'histoire et à la théorie de la bande dessinée lorsqu'on veut participer à ce concours. Bon, ce n'est vraiment pas une obligation non plus ! Mais ça peut donner quelques pistes de réflexion.

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Vos planches présentées au Concours Jeunes Talents se déployaient déjà autour du sujet de l'immigration. Il se trouve que aussi l'album que vous venez de sortir, repose sur le même thème- en particulier, autour de l'activité du collectif Tournefeuille Sans Papiers que vous avez fondé dans votre ville. Un thème récurrent et un genre commun, celui de la bande dessinée de témoignage. Quel est l'objectif de vos bandes dessinées ?

J.B. Meybeck : Ça dépend. Dans beaucoup de bandes dessinées que j'ai réalisées, le but était surtout de distraire, de faire rire, de faire rêver ou même un peu réfléchir, mais pas forcément de laisser un message. Mais depuis 2008 je suis dans ce collectif d'aide aux personnes sans papiers, et ça a un peu changé les choses. Ces gens qui sont venus ici et qui rencontrent ce genre de difficultés ont souvent des histoires incroyables à raconter. À force de les écouter, on peut se demander à quoi bon inventer des fictions, alors que le réel est si fort, si intéressant. Comme cet homme qui arrive de Côte d'Ivoire et qui est champion de Scrabble, à qui on ne peut pas donner son titre parce qu'il n'est pas français, et qui se fait finalement expulser ! Jamais on n'oserait inventer un truc comme ça.

Et puis c'est vrai qu'on ressent de la révolte, à écouter tout ça. Au bout d'un moment, c'est tellement frustrant qu'on éprouve le besoin de témoigner à son tour, qu'on a envie de partager pour qu'au moins les choses se sachent, et qu'au mieux, elles changent un peu ! C'est vrai qu'on entend souvent que faire une œuvre artistique pour laisser un message, c'est présomptueux, donneur de leçon. Je ne pense pas. Cela dépend de la façon dont cela est fait. De mon côté, je ne donne aucune leçon, je laisse la parole aux gens, je retranscris leurs expériences, c'est tout. Après, à chacun de se faire son idée ou d'en tirer ses conclusions. C'est peut-être plus habile de rester dans la légèreté et de glisser son message en passant (je pense au film Samba par exemple, qui traite du même problème avec légèreté), mais parfois ce n'est pas possible : la colère est trop grande, la légèreté paraitrait déplacée. À un ou deux moments, dans les témoignages des associations, j'ai quand même essayé de placer un peu d'humour quand c'était possible, mais cela l'était rarement.

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Comment est née C.R.A. et comment avez-vous géré le développement de l'histoire et des témoignages ?

J.B. Meybeck : Comme vous l'avez souligné, le projet de ce livre a été conçu lors d'une manifestation avec le collectif Tournefeuille sans papier. Nous participions à l’occurrence toulousaine de la campagne Open Access/Ouvrez les portes mise en œuvre par un collectif d'associations au niveau européen et africain (Migreurop/Euroalter). Le but de cette campagne est d'informer les citoyens sur l'existence des centres de rétention pour migrants, et des conditions de rétention des migrants qui rappelons-le, ne sont ni des délinquants ni des criminels.

Les associations ont écrit au fur et à mesure les comptes rendus de leurs expériences durant la campagne. Cette dernière a été aussi l'occasion de récupérer des témoignages de migrants, soit au parloir, soit par le truchement de la Cimade (une association d'aide aux migrants qui a un bureau dans le centre de rétention), soit par le biais de personnes connues des associations pour être passées par le centre.

À la fin de la campagne au CRA de Cornebarrieu/Toulouse, nous nous sommes demandé comment faire connaître aux citoyens français et européens ce que nous avons découvert là. C'est à ce moment que j'ai proposé de réaliser une bande dessinée, puisque j'en faisais déjà en amateur et que je tentais de me professionnaliser dans ce domaine. Après, je me suis senti tenu par ma parole, et j'ai donc mené le projet à bien.

Pour les associations, je voulais faire une ligne claire à la plume, relevée au lavis. J'ai conservé cette technique, mais la ligne claire "pure" s'est révélée terriblement compliquée à réaliser, on en est donc assez loin ! L'idée de changer de technique et de style entre ces deux types de témoignages est venue aussi assez rapidement, mais j'ai mis du temps à mettre au point mon style "pinceau noir" pour les migrants. J'avais fait au début des planches plus claires, que j'ai noircies par la suite, en testant plusieurs techniques. J'ai même envisagé de rajouter les noirs par la suite à l'ordinateur, mais au vu du résultat j'ai finalement opté pour le "tout pinceau", avec des ombres au pinceau sec et des hachures au rotring.

Une fois la liste de témoignages calée ainsi que l'ordre de passage, j'ai fait cela au fur et à mesure, réalisant un petit storyboard du témoignage suivant lorsque j'en finissais un.
 

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Votre maison d'édition vous a suivi de près tout au long du travail ? Comment allez-vous gérer la promotion de l'album ?

J.B. Meybeck : Au début du projet, je n'avais pas du tout d'éditeur en vue. Lorsque je me suis trouvé à la tête d'une vingtaine de planches, de façon à ce que le projet global apparaisse clairement à travers ce qui était réalisé, j'ai rédigé un dossier comportant ces premières planches, une lettre d'intention comprenant la description du projet (aussi bien au niveau du contenu que des techniques utilisées), le nombre de planches prévu, la liste des témoignages, le texte de la campagne. J'ai pris la liste des éditeurs ayant exposé au dernier festival d’Angoulême, et j'ai choisi ceux qui pouvaient être éventuellement intéressés au vu de la ligne éditoriale de leur catalogue.

J'ai commencé à envoyer tout cela systématiquement en novembre 2012, et le 21 novembre, j'envoyais le dossier aux éditions "Des ronds dans l'O". Le 22, ils me répondaient positivement. Ensuite, la réalisation a pris un certain temps...

Ce que je peux dire c'est que mon éditeur m'a laissé totalement libre sur la réalisation du livre, et je lui en suis gré. J'envoyais les planches réalisées de temps en temps. Il n'y a eu qu'une seule remarque, très justifiée avec le recul, à un moment où j'avais essayé quelques audaces narratives qui compliquaient inutilement la lecture. Sinon, on m'a laissé champ libre. Et comme à la fin Marie Moinard, qui s'occupe des "Ronds dans l'O", m'a dit qu'elle trouvait la bande dessinée super, ça a été parfait !

En ce qui concerne la promotion de l'album, j'ai déjà fait pas mal de "signatures". Comme le sujet s'y prête (et même, je dirais, l'exige), ces signatures sont surtout des moments de rencontre/débat avec le public. Des associations sont en général invitées (la Cimade, le Cercle des voisins, Tournefeuille Sans Papier, la Ligue des Droits de l'Homme). Parfois, ces séances se passent dans des lieux associatifs (comme l'espace JOB à Toulouse), dans des médias engagés (comme la radio Canal Sud Toulouse ) souvent dans des librairies. Nous avons également été invités par l'observatoire des libertés au CRA de Palaiseau (l'expo devrait se tenir là-bas à partir du 5 décembre).

Avec Gérard Loustau, artiste peintre, qui fait partie également du Collectif Tournefeuille Sans Papiers, nous avons réalisé une exposition de peintures. Il a peint des tableaux à l'huile sur le thème de la migration, et en ce qui me concerne j'ai réinterprété des cases de ma BD au format 80x80, à l'acrylique et à l'encre. Cette exposition est aussi un excellent support pour transmettre le livre et le message qu'il contient. D'ailleurs, si vous le permettez, j'en profite pour dire que nous sommes ouverts à toute proposition pour accueillir cette exposition et organiser lors du vernissage un débat/rencontre/signature du livre. Ces débats sont très enrichissants et permettent d'informer efficacement le public. Je suis d'ailleurs content de constater que la BD elle-même est un très bon outil pédagogique. Souvent les gens me disent qu'ils apprennent plein de choses en la lisant !

Comme je suis graphiste, j'ai créé un site internet dédié  (qui vient en complément des pages mises en place par mon éditeur sur son propre site où on peut commander le livre). On y trouve toutes les dates (rencontres, festivals, etc.) et les articles sur la BD, ainsi que des photos des différents événements. 

 

Quels sont vos projets futurs ?

J.B. Meybeck : J'ai d'autres projets de bande dessinée. Le problème que je rencontre en ce moment est que, entre mon métier de graphiste que je ne peux pas lâcher pour l'instant, et la promotion de CRA, je n'ai pas encore eu le temps de m'y remettre !
Mais je m'organise pour le faire rapidement. Pour l'instant je n'en parle pas, mais il sera plus ludique, quoique toujours "basé sur le réel", et à sa manière, engagé. J'ai des idées de bandes dessinées pour plusieurs années... il me manque juste du temps !