
De la librairie… à l’écosystème
À quoi sert le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême ? Parodiant Cyrano, on pourrait dire à « bien des choses en somme ».
Certes, il a une fonction culturelle, sociale, économique – la fameuse économie créative dont il serait plus que temps de considérer objectivement l’importance. Oui, il réunit dans un temps festif des citoyens de 7 à 77 ans autour d’une passion commune (un rapprochement que l’écran ne remplacera jamais).
Évidemment aussi, il permet à une ville de 45 000 habitants de rayonner dans le monde entier et d’être la première en France à intégrer le Réseau des Villes créatives de l’Unesco au titre de la littérature (eh oui, la bande dessinée est bien une forme de littérature !). On pourrait ajouter encore qu’il contribue, depuis son origine, à la reconnaissance de la bande dessinée en tant que forme d’expression artistique
Mais comment tout ceci est-il possible ?
Parce que cet évènement est au cœur d’un écosystème d’exception. En l’occurrence, celui de la bande dessinée en France. Petit rappel en passant par Le Petit Larousse :
Ecosystème : "Organisation structurée (d'un secteur d'activité par exemple) dans laquelle les différents acteurs (entreprises, fournisseurs, institutions, etc.) sont reliés par un maillage fort leur permettant d'interagir efficacement".
Si le Festival d’Angoulême est une référence culturelle mondiale dans l’univers du 9e Art, c’est parce que la France a su développer avec ses auteur(e)s, ses éditeurs, ses libraires, ses journalistes… bref, son écosystème de la bande dessinée, le premier marché européen dans ce domaine et l’un des tout premiers à l’échelle planétaire.
Si ce Festival a pu devenir, année après année, en près de 50 ans, un vecteur majeur de médiation entre les œuvres, leurs auteur(e)s et le public, c’est parce qu’il a eu la possibilité de donner à voir une création francophone foisonnante, tout en valorisant aussi celles d’autres continents publiées dans notre pays.
En contraignant les libraires à la fermeture, c’est tout l'écosystème qui unit ses acteurs qui se délite, entraînant un basculement général vers l’incertitude. L’incertitude sur la capacité que celui-ci aura de se maintenir. De conserver sa capacité à porter la création dans toute sa diversité. Une situation qui aujourd’hui fait de la France le seul pays au monde où le lecteur accède à toutes les formes de bande dessinée, quelle que soit leur origine.
On ne peut nier que des mesures de soutien importantes soient prises par l’État - y compris vis-à-vis du Festival d’Angoulême qui bénéficie de l’engagement unanime et sans faille de tous ses partenaires publics et privés – et que celles-ci permettent de garder espoir. Ainsi, grâce à elles, le Festival même « empêché » qu’il est, fera tout pour être présent fin janvier en se réinventant et se projettera dans une temporalité estivale. Mais, on sait également que ces mesures ne suffiront pas, ne pourront pas tout faire.
Ainsi, comment la relation parfois ténue avec la lecture, notamment en ce qui concerne le jeune public pour lequel la bande dessinée est devenue un genre essentiel à sa fréquentation (donc au monde des idées), va-t-elle résister ? Et ce, alors même qu’en ces temps troubles, former (aussi) les citoyens via leur interaction à la culture est sans doute le meilleur rempart à moyen et long terme face « aux idées courtes ».
Que les librairies gardent portes closes, c’est prendre le risque de briser cette relation. Au minimum, d’affirmer à l’égard de cette jeunesse que le livre n’est pas essentiel à l’existence telle que notre société la conçoit. Platon disait, « on ne doit pas soigner le corps séparé de l’âme ».
Est-ce bien là notre conception de la vie ? Si les gaulois d’Astérix et Obélix considèrent les nourritures du corps comme essentielles à leur vie – tout se termine toujours chez eux, on le sait, par un banquet – ils sont aussi très attachés à leur culture, qui se transmet de bouche-à-oreille de libraire… pardon, de druide !
Franck Bondoux
Délégué Général