© Anne Montel
Anne Montel pour Le Temps des Mitaines
Avec un nouvel album en Sélection Officielle jeunesse cette année, Anne Montel revient sur son travail d’auteur de bande dessinée après sa sélection au concours Jeunes Talents et plusieurs albums derrière elle.
Un univers magique, une enquête qui semble sortie des marais de Pogo ou des pages du Vent dans les Saules, Le Temps des Mitaines se distingue immédiatement des autres albums jeunesses par ses partis pris et intrigue. Interview de sa dessinatrice Anne Montel pour en savoir plus.
Dès qu'on commence à lire Le Temps des Mitaines, on a l'impression d'entrer dans un univers d'amis, familier et en même temps inattendu. Comment, avez-vous eu l’idée de cet univers avec Loic Clément ? Quelle était l'idée de départ de cette enquête fantastique ?
Anne Montel : À la sortie d'un festival, un directeur de collection est venu nous solliciter suite à la parution de notre premier album (Shä & Salomé : Jours de pluie) pour nous commander un projet "à la Bone", superbe bande dessinée de fantasy déjantée de Jeff Smith, parue chez Delcourt.
Shä & Salomé étant un comic strip sur les différences au sein d'un couple, j'avoue que nous avons été surpris de la demande... et puis on a beaucoup réfléchi avec Loïc et on a décidé de saisir cette perche pour sortir de notre zone de confort. Le genre de récit demandé n'était finalement pas un problème puisque Loïc est convaincu que tant que vous avez un thème fort, une histoire solide, elle peut être racontée dans n'importe quel environnement qu'il soit "western" ou "science fiction". Une belle histoire d'amour pourra se situer dans le Londres Victorien ou dans un futur postapocalyptique, tout ça n'est que de l'ordre du background...
Bref, il a d'abord fallu comme dans tout projet, qu'on sache de quoi on voulait parler et dans ces cas-là, on va puiser dans l'intime, car c'est encore dans ce qu'on connaît le mieux qu'on puise les meilleures histoires. On a donc décidé d'aborder le thème du malaise adolescent.
Je pense qu’on n’est pas les seuls à avoir eu une adolescence pourrie et on trouvait ça amusant de traiter de ce sujet dans un univers de Fantasy. On ne sait pas faire Conan le barbare ou Le Seigneur des anneaux, mais on trouvait ça marrant d'essayer de faire un genre de Breakfast Club dans un univers merveilleux. On a trouvé ça rigolo de se servir du pouvoir magique que chaque enfant acquiert une fois rentré dans l'adolescence, comme d'une métaphore des poils ou de la poitrine qui pousse. Bref, on s'est lancé dans un univers de fantasy, mais à notre sauce...
À ce moment-là, on a présenté un dossier hyper fourni à l'éditeur qui a semblé séduit, mais nous a demandé des retouches. On a renvoyé le tout avec un dossier hyper poussé tel que je pense on en fera plus jamais (37 pages) et... silence radio... Les mois ont passé et en dépit de nos relances, on s'est rendu compte que l'approche en face n'était pas très sérieuse.
Du coup, au bout de quelques mois on s'est pas laissé abattre et on a commencé à démarcher d'autres maisons. Ca tombait bien, Didier Jeunesse souhaitait développer sa petite collection BD et s'est montré rapidement intéressé.
À partir de là se sont engagées de très nombreuses discussions, notamment sur l'histoire pour mettre un peu plus l'accent sur le côté polar / enquête (la partie qui ne stimulait pas trop Loïc). C'est comme ça, au bout de long chemin, qu'on s'est retrouvé avec un truc hybride Chroniques adolescentes / fantasy / policier appelé Le Temps des Mitaines. On avait tellement de trucs à mettre dedans qu'il nous a fallu une grosse pagination, ce qui constituait un sacré pari tant sortir une bande dessinée pour enfants avec autant de pages est rare, pour ne pas dire inexistant... Pour rendre ça plus digeste, on a fait comme dans un roman en séquençant en chapitres et comme Loïc est un grand amoureux de l'écriture de Georges R.R Martin, on a décidé d'employer une structure chorale pour avoir le point de vue de chacun des personnages...
Il y a une vraie attention portée à la caractérisation des personnages, et ils sont nombreux. Là aussi, nous aimerions en savoir plus... Quelles sont les sources de votre inspiration ? Comment votre travail graphique s’est adapté au scénario –ou l’inverse ?
Anne Montel : Dans Shä & Salomé, le protagoniste était un chat. On aimait bien l'anthropomorphisme et vu notre approche un peu barrée du genre Fantasy, on s'est dit que c'était approprié de partir sur des animaux. Plus qu'avec des humains, cela permet en un regard de voir les grosses différences entre chaque personnage, cela nous facilite donc la tâche dans leur caractérisation. Et puis plus simplement, j'adore dessiner ce genre de personnage... S'ils sont si nombreux, c'est parce que ça foisonne dans la tête de mon scénariste et qu'il pense que dans toute bonne histoire, outre un super méchant, il faut des seconds rôles réussis. Et effectivement, on peut dire que des seconds voire des troisièmes rôles y en a un paquet dans cette bande dessinée. Quant à cet aspect "bande de copains", ce sont de nombreux films des années 80 comme Stand by me ou Les Goonies qui en sont à l'origine.
Mes sources d'inspirations sur l'aspect graphique sont diverses. Il y a eu l'adaptation des Borrowers par le Studio Ghibli pour ce qui est des lieux de vie des personnages (ils vivent dans des objets de récupération) et je me suis beaucoup penchée sur le travail de la couleur concernant la magie dans de nombreuses bandes dessinées. Il faut savoir que comme je travaille à l'aquarelle, j'ai eu un gros travail de recherche pour un rendu satisfaisant concernant l'incandescence des pouvoirs des héros. Pas évident.
Quant à savoir si mon travail graphique s'adapte au scénario ou l'inverse, on travaille de concert. J'interviens dès la phase scénario pour donner mon avis et entamer des discussions et mon scénariste intervient lors de la phase de dessin pour apporter ses suggestions. Il est très complet dans ses indications scéniques lors du découpage et possède une grammaire propre à la bande dessinée, un sens de la narration que je suis tout juste en train de m'approprier, n'étant pas à la base une grande lectrice BD. Et puis, il a fallu s'articuler en plus de nos échanges à tous les deux, avec l'interlocuteur éditeur. Le bilan est que ça n'a pas toujours été simple et qu'on est ressorti épuisé de cette aventure... Le bon côté, c'est qu'en dépit des difficultés nous avions tous à cœur de faire le meilleur livre possible.
Depuis peu, en travaillant sur Églantine, notre BD actuelle à paraître chez Dargaud, je m'approprie davantage la mise en scène. C'est douloureux de moins compter sur le travail prémaché de mon scénariste, mais c'est un vrai challenge qui fait grandir.
Vous avez illustré de nombreux albums jeunesse après une première bande dessinée, Shä et Salomé, jours de pluie (sur un scénario de Loic Clément également). Que représente Le Temps des Mitaines dans votre parcours d'auteur ? Est-ce deux manières différentes de travailler ?
Anne Montel : Mon travail d'illustratrice sur les albums jeunesse et mon travail de dessinatrice sur les bandes dessinées n'est absolument pas le même.
Pour résumer et sans partir sur de longues considérations, quand je travaille sur des albums jeunesse, mon but est de faire les plus belles illustrations possibles. Quand je travaille sur de la bande dessinée, mon objectif est de faire les dessins les plus lisibles possibles.
Plus important encore, obtenir que chacun de ces dessins s'articulent bien entre eux... La narration doit être fluide, les bulles convenablement placées pour une lecture logique et les planches construites en utilisant tous les codes existants propres à ce média tels que l'ellipse... Ce n’est pas de la tarte.
Je pense qu'on peut être un super illustrateur, un super peintre et un piètre dessinateur de bande dessinée et j'essaie de progresser en ayant bien tout ça en tête. Il faudrait que j'en lise davantage pour être mieux armée, mais à la fois ce défaut de connaissances m'amène je pense parfois vers des chemins un peu originaux… (je me cherche des excuses, héhé)
Le Temps des Mitaines pour moi, c'est un univers riche, familier, chaleureux, amusant, que je maîtrise maintenant bien au bout de plus de 100 pages, et que j'aurai toujours plaisir à retrouver. C'est aussi comme un pas de plus franchi dans une certaine forme de légitimité en tant qu'auteur BD en regard des nombreux prix et des supers retours que l'on a eu sur ce titre. La sélection officielle à Angoulême dans la catégorie jeunesse ayant été une cerise sur le gâteau. Plus terre à terre, Le Temps des Mitaines a aussi marqué un tournant dans mon parcours dans le sens où je peux désormais davantage choisir mes projets maintenant et faire le tri dans les commandes pour mieux me consacrer aux projets plus personnels.
Vous étiez lauréate du concours Jeunes Talents 2009. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience et avez-vous de conseils pour ceux qui voudraient se lancer ?
Anne Montel : J'en garde un bon souvenir puisque cette sélection a initié mon parcours en BD. Avant ça, je comptais ne faire que de l'illustration jeunesse, or les planches présentées au concours Jeunes Talent ont donné naissance à Shä & Salomé qui a été le début de l'aventure...
Des conseils à ceux qui voudraient se lancer ? Oui : attention à la chute…
Bon, sérieusement, soyez certains de votre foi en votre projet. C'est tellement douloureux, cela prend tellement d'énergie de réaliser une BD que ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire juste parce que "ça a l'air sympa de faire ça".
Quels sont vos projets pour la suite ?
Anne Montel : Je dessine actuellement une bande dessinée pour un public adulte cette fois, appelée Églantine et à sortir l'année prochaine aux éditions Dargaud. C'est toujours avec Loïc au scénario et ça parle du bonheur, du deuil, des secrets de famille, de l'amour et mille autres choses sur un environnement de pâtisserie et de village qui se meurt...
J'enchaîne ensuite avec Le Temps des Mitaines tome 2 pour une sortie prévue également l'année prochaine. Je n’ai pas le droit d'en dire grand-chose, mais ça sera plus une aventure humaine et pas un polar cette fois...
Toujours avec le même scénariste, je vais occuper des places un peu différentes sur des dossiers qu'on présente actuellement aux maisons d'édition à savoir que si ça se concrétise (et ça devrait parce qu'ils sont trop supers ces projets !) je m'occuperais pour l'un du lettrage et pour l'autre de la couleur... encore de nouveaux challenges et l'occasion de bosser avec des dessinateurs hyper talentueux.
Et sinon, je continue à travailler pour la presse et sur des projets d'albums ou de romans illustrés quand le projet me séduit et que c'est payé décemment (ce qui est très loin d'être toujours le cas).
Quant au futur, avec Loïc on a une bande dessinée dans la tête qui serait un diptyque jeunesse qui ferait très peur aux enfants. Mais genre, qui colle tellement les miquettes qu'aucun éditeur ne voudra signer ça...
Sinon j'aimerais beaucoup continuer à explorer de nouveaux médiums. J'ai fait beaucoup d'expérimentations en laine cardée par exemple, et quelques impressions sur tissus que je vends de temps à autre dans ma boutique Etsy ; dans un monde où j'aurais le temps de faire ce genre de choses j'adorerais me lancer plus sérieusement dans la réalisation de motifs pour des habits, par exemple.
Bon en tout cas, ce ne sont pas les envies qui manquent !
Pour en savoir plus, faites un tour sur son site.